Pour que la fiscalité avantageuse liée au mécénat d’entreprise ne soit pas, à terme, purement et simplement remise en cause, les sages de la rue Cambon appellent à une clarification de la politique qui la soutient. Face à la croissance des dons, ils estiment que des ajustements sont indispensables. Leur rapport remis le 28 novembre propose quatre grandes orientations.
Le mécénat d’entreprise a tardé à s’imposer en France. Mais depuis 2003 et la loi Aillagon, la France s’est dotée d’un dispositif fiscal ambitieux considéré comme « parmi les plus généreux ». Cela a porté ses fruits puisque « le caractère très incitatif des mesures et la forte progression du nombre d’entreprises y recourant ont contribué à une multiplication par 10 du montant de la dépense fiscale correspondante, aujourd’hui supérieure à 900 millions d’euros ».
60 % de réduction fiscale
Est valorisable fiscalement tout don fait à toute œuvre ou organisme d’intérêt général à « caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises, notamment quand ces versements sont faits au bénéfice d’une fondation universitaire, d’une fondation partenariale ou d’une fondation d’entreprise ». Les bénéficiaires n’ont pas à présenter d’autres caractéristiques (agrément ou labellisation…) pour y ouvrir droit. Par contre, les entreprises ne peuvent soutenir des partis politiques, des campagnes électorales ni des associations cultuelles.
Pour ces dons, les entreprises mécènes se voient accorder une réduction directe du montant de leur impôt sur les sociétés à hauteur de 60 % du montant donné, dans la limite de 5 ‰ de leur chiffre d’affaires HT (une situation qui va évoluer en 2019). Si cette réduction excède le montant de l’impôt dû, cet avantage fiscal peut être échelonné sur 5 ans. Et le don n’a pas pour autant à être complètement « gratuit » puisque le mécène peut obtenir une contrepartie allant jusqu’à 25 % du montant donné sans plafond (alors que pour les particuliers, les contreparties sont limitées à 69 euros).
Grandes entreprises, grandes gagnantes
44 % du montant de l’avantage fiscal est au profit des seules 24 plus grands bénéficiaires. Il est donc très clair que le dispositif bénéficie principalement aux grandes entreprises. D’autant plus qu’elles ont dorénavant la possibilité d’associer leur nom aux opérations qu’elles soutiennent. Le rapport constate d’ailleurs que « la recherche de fortes retombées médiatiques amène certaines actions de mécénat à se rapprocher d’opérations de parrainage, au risque d’une confusion certaine ». Le mécénat des petites entreprises croît aussi mais « le plafonnement de la mesure fiscale dont elles peuvent bénéficier constitue une contrainte, surtout pour les très petites ». Cela étant, il est évident que l’avantage fiscal n’est pas la seule motivation des mécènes puisque beaucoup n’en profitent pas. On estime la générosité non déclarée équivalente en montant à celle déclarée aux services fiscaux.
Multiplié par 10 en 15 ans
En 2005, peu après sa création, ce dispositif avait bénéficié à 6 500 entreprises et représentait une réduction fiscale d’environ 90 millions d’euros. Multiplié par 10, le coût fiscal est aujourd’hui estimé à 930 millions d’euros, profitant à près de 70 000 entreprises. Si « les moyens en jeu et l’objectif ambitieux porté par la loi de 2003 justifiaient que le soutien au mécénat des entreprises soit considéré comme une véritable politique publique », le rapport constate que loin s’en faut. Il dénonce les lacunes dans le suivi, l’analyse et le pilotage par l’État de cette dépense fiscale et estime qu’« eu égard aux montants en jeu et à leur dynamisme, le constat d’une dépense fiscale non pilotée, mal évaluée et pratiquement jamais contrôlée doit appeler les pouvoirs publics à redéfinir le cadre et les modalités de soutien au mécénat des entreprises ».
Orientations et recommandations
Dans l’optique de mieux connaître, mieux évaluer et mieux contrôler ce dispositif, ce rapport propose 4 grandes orientations, déclinées en 7 recommandations opérationnelles. En premier lieu, « construire rapidement un cadre d’ensemble clair, cohérent et complet de mise en œuvre de cette politique au plan interministériel ». Ce qui implique de « désigner une administration « chef de file » chargée de suivre et d’animer au plan interministériel la politique de soutien public au mécénat (…) qui rendrait régulièrement compte au Parlement, selon un rythme triennal par exemple, de cette politique ». Ensuite, « mieux maîtriser la dépense fiscale (…) en examinant plusieurs scénarios d’ajustement à court terme du dispositif (…) afin de le rendre plus efficient ». Pour cela, il est demandé que le processus d’évaluation du coût de la dépense soit repris ; que la télédéclaration annuelle du montant des dons reçus (au-delà d’un montant fixé par décret), de l’identité des entreprises donatrices et de la forme de mécénat, devienne obligatoire pour les organismes sans but lucratif ayant émis un reçu fiscal ; que les réductions d’impôt en faveur du mécénat soient considérées lors du contrôle des grandes entreprises.
Troisièmement, « clarifier certaines règles » notamment encadrer les contreparties délivrées en établissant une base juridique claire, en étudiant un abaissement de leur niveau et en objectivant la valorisation de celles-ci, ainsi qu’en précisant les règles relatives au mécénat de compétences. Enfin, « réexaminer (…) cette politique (…) en clarifiant le champ du mécénat par rapport à celui d’autres modes d’intervention des entreprises et en sécurisant les conditions de fonctionnement des fondations et fonds de dotation ». Concrètement il s’agit d’encadrer les conditions de création, de fonctionnement et de contrôle des fondations abritées.
En savoir plus :
Le rapport de la Cour des comptes : https://bit.ly/2TTL73v
Le baromètre du mécénat d’entreprise est paru
Admical, association de promotion et de développement du mécénat d’entreprise, a publié en octobre dernier son baromètre annuel du mécénat d’entreprise. Il confirme l’augmentation du mécénat en France : « Entre 2010 et 2016, le nombre d’entreprises ayant déclaré des dons au titre du mécénat a été multiplié par 2,5 passant de 28 000 à 73 500 (…). La tendance se poursuit et s’accentue en 2017 puisque les premières données de la DGFIP montrent que les dons déclarés devraient atteindre 2 milliards d’euros pour 82 000 entreprises ». https://bit.ly/2QAKUEu