Plusieurs grands noms de la Tech ont annoncé la possibilité d’un télétravail à vie pour leurs salariés, au-delà de la pandémie de Covid-19. Ce mode d’organisation peut-il devenir la norme dans les entreprises françaises ?
La crise du Covid-19 a encouragé les géants du numérique à prendre des mesures drastiques en matière de télétravail. Après la décision de Google de poursuivre le travail à distance jusqu’à début 2021, Twitter a annoncé autoriser la majorité de ses collaborateurs à bénéficier du télétravail… à vie. Dans la foulée, Mark Zuckerberg a révélé que la moitié des employés de Facebook aurait également la possibilité de travailler chez eux de façon permanente, d’ici cinq à dix ans.
En France, 25 % des Français en ont bénéficié pendant le confinement, selon le ministère du Travail. Le recours massif au travail à distance, ces derniers mois, laisse présager sa démocratisation. Cette organisation va-t-elle pour autant devenir la norme ? Quels sont les points de vigilance à observer pour sa mise en place sur le long terme ?
Télétravail à vie : quels postes sont éligibles ?
Une entreprise est libre de déterminer les postes éligibles au travail à distance – sous réserve de fixer des critères objectifs et non discriminatoires –, mais tous les salariés ne peuvent devenir des télétravailleurs. « Pour des secteurs comme la métallurgie ou le bâtiment, on ne peut bien évidemment pas parler de travail à distance possible », rappelle Mathieu Lajoinie, avocat au barreau de Paris.
Toutefois, la question de sa pertinence se pose, y compris pour les postes qui peuvent être exécutés à distance. « Lorsque nous avons initié le télétravail au sein du groupe MG, les alternants et les stagiaires étaient en théorie éligibles. Nous les avons exclus du dispositif, estimant que leur présence dans l’entreprise était préférable, dans la mesure où ils sont en période d’apprentissage », illustre Sandrine Champetier, directrice des ressources humaines du groupe Magnin Gecors, membre du groupement France Défi.
Passer par une phase de test, avant un déploiement à grande échelle
Que le télétravail soit envisagé pour une courte ou une longue période, Mathieu Lajoinie suggère de l’initier par étape. « Réalisez un test auprès de cinq salariés, aux postes divers, précise-t-il. Vous vérifierez que le matériel mis à disposition et les outils de reporting suffisent. Et que la méthode de management est cohérente dans le cadre du télétravail. »
Sandrine Champetier formule le même conseil : « Chez nous, une première charte mise en place en janvier 2019, pour une durée d’un an, autorisait douze jours par an de travail à distance. Une première expérience, avant d’envisager le plus long terme. Ce test a permis de faire le point sur les bénéfices et les dysfonctionnements. L’année suivante, MG a autorisé deux jours de plus en télétravail. »
Télétravail à vie : à encadrer par un accord collectif ou une charte
Si le passage au télétravail peut être formalisé par un simple écrit, Mathieu Lajoinie recommande de passer par un accord collectif négocié au sein de l’entreprise ou bien d’élaborer une charte. « Cela permet de préciser des points particuliers tels que le temps de travail, la délimitation des horaires auxquels le salarié est tenu d’être joignable, ou le matériel mis à disposition (ordinateur, accès internet, etc.) », détaille-t-il.
Ces précisions sont d’autant plus importantes que la responsabilité de l’employeur peut être engagée, notamment en cas d’absence d’un matériel adapté.
Un salarié souffrant de troubles musculo-squelettiques, mal équipé, peut faire reconnaître le caractère professionnel de sa maladie. C’est un risque que l’entreprise ne doit pas sous-estimer
Le professionnel du droit rappelle par ailleurs qu’un accident survenu le lieu du télétravail pendant les heures d’exercice de l’activité, peut être reconnu comme un accident du travail, et indemnisé comme tel par la Sécurité sociale.
Quant à la prise en charge des frais liés au télétravail (électricité, fournitures, assurance-habitation couvrant le matériel professionnel, etc.), l’expert invite à privilégier un accord collectif pour cadrer les choses. « Le salarié ne doit pas engager de frais sans avoir de contrepartie, dont les modalités peuvent être précisées par l’employeur dans le cadre d’un accord », avance-t-il.
Un management adapté, doublé d’une relation de confiance
Avant d’envisager un télétravail permanent ou récurrent, l’avocat au barreau de Paris pointe un autre facteur devant attirer l’attention des entreprises : l’adaptation du management. « Dans les sociétés converties au télétravail pendant le confinement, certains salariés se sont retrouvés isolés et ont été délaissés par leurs supérieurs, remarque-t-il. Pour éviter cela, il devient nécessaire de former les manageurs. C’est à eux qu’il revient de trouver la bonne organisation et les moyens de bien communiquer à distance. »
« Le télétravail ne peut être vécu sereinement sans un management par la confiance, complète Sandrine Champetier. En France, une forte culture du présentéisme règne encore, avec la croyance que les salariés travaillent plus au bureau que s’ils sont chez eux. Le télétravail permet justement de ne plus se focaliser sur la présence, mais, plutôt, sur les résultats et l’exécution des missions. »
La perte de liens représente un autre risque à considérer selon la DRH. Surtout au-delà de deux ou trois jours de télétravail hebdomadaires. « Le partage, la créativité et la collaboration, c’est la valeur ajoutée de l’entreprise. Avec le télétravail permanent, le risque est de perdre le sens même de l’entreprise, plaide Sandrine Champetier. Certaines sociétés réfléchissent à des compromis. Récemment, PSA a envisagé de proposer jusqu’à quatre jours de télétravail par semaine, en consacrant la journée passée sur le site à des activités collaboratives. » Le projet de télétravail massif du groupe automobile divise les techniciens et les cadres concernés : selon un sondage publié le 22 juin par la CFDT, 56 % des salariés de PSA ont dit y être opposés, et 44 %, y être favorables.