La religion en entreprise est un sujet de plus en plus évoqué. Face à une attitude ou une exigence d’origine religieuse, les employeurs sont bien souvent démunis. Si le principe de neutralité doit prévaloir, sa mise en œuvre reste complexe.
Port visible de signes religieux, demande d’absence pour une fête religieuse, refus de travailler avec une femme ou sous ses ordres, prières durant les pauses… Les manifestations religieuses se banalisent sur les lieux de travail. Selon l’étude de l’Institut Randstad et de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE) dévoilée le 22 septembre 2016, près de deux tiers des salariés interrogés (65 %) ont observé en 2016 plusieurs manifestations du fait religieux, alors qu’ils étaient 50 % en 2015.
Autre enseignement de cette enquête menée pour la quatrième année consécutive : les managers sont plus nombreux à s’être saisis de demandes à caractère religieux (48 % en 2016 contre 38 % un an plus tôt). A noter : les cas conflictuels restent minoritaires, ne concernant que 9 % des faits religieux observés (contre 6 % en 2015). Et pas forcément grâce à la précision de la législation… La loi Travail récemment votée prévoit simplement que « le règlement intérieur d’une entreprise peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité ». Pour apporter des réponses concrètes, tant aux salariés qu’aux employeurs, le ministère du Travail publiera le 20 octobre un « Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées ».
Religion en entreprise : opter pour la négociation
Si dans le secteur public, le principe de laïcité et de neutralité est de mise, dans le secteur privé, la liberté, y compris celle concernant la religion, est la règle. De ce fait, les restrictions doivent être proportionnées et justifiées par l’intérêt de l’entreprise. « Un salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses convictions religieuses », rappelle Patrick Thiébart, avocat au sein du cabinet Jeantet. Pour autant, les entreprises ne sont pas désarmées face aux demandes d’ordre religieux. « Lorsque c’est possible, leurs décisions doivent laisser de côté le sujet religieux », recommande Patrick Thiébart. Un exemple : la demande de congé en raison d’une fête religieuse. « Si le salarié a des jours de congé à prendre et que son absence ne perturbe pas le fonctionnement du service, il n’y a pas de raison de la refuser », explique Patrick Thiébart. Et la demande de menus halal ou casher ? « Si l’entreprise est interpellée par de nombreux salariés, pourquoi ne pas étudier la question ? Mais pour ce sujet comme pour d’autres, il est préférable d’opter pour la voie des négociations avec les partenaires sociaux, avec pour objectif la signature d’un accord », conseille encore Patrick Thiébart.
Rappeler les règles si nécessaire
Dans d’autres cas, des restrictions, voire des sanctions, peuvent s’imposer. Le refus de serrer la main d’une femme s’apparente à de la discrimination. Celui de refuser de travailler avec elle peut se traduire par une perturbation dans un service. « Ces attitudes peuvent donc donner lieu à des sanctions disciplinaires », note Patrick Thiébard. Quid d’un salarié demandant un aménagement de son temps de travail pour faire sa prière ? Si elle n’est pas conciliable avec la nature de l’activité de l’intéressé, le chef d’entreprise peut opposer un refus. Idem pour le port de certains signes religieux, pas compatibles avec des règles d’hygiène et de sécurité, par exemple le port d’une tenue de protection.
Le voile, un débat non tranché
Et qu’en est-il du voile ? « La question n’est pas définitivement tranchée », constate Patrick Thiébart. Dernière affaire en date, celle opposant la société de services informatiques Micropole à une ancienne salariée. Ingénieure d’études, celle-ci a été licenciée pour avoir refusé d’ôter son voile après qu’une société cliente, au sein de laquelle elle intervenait, a fait état de la « gêne » de ses collaborateurs. Un cas porté devant la Cour de justice de l’Union européenne, dont la décision est attendue avant la fin de l’année 2016. S’il faut se fier aux conclusions de l’avocate générale de ce tribunal, soulignant notamment que le fait de porter un foulard islamique n’empêchait pas cette ingénieure d’accomplir ses tâches, il n’est pas exclu que l’ex-salariée l’emporte. A l’inverse du fameux cas de la crèche Babyloup pour lequel la Cour de Cassation avait confirmé le licenciement d’une salariée. Bref, le débat est loin d’être clos.