Initiée fin 2017, à la demande des ministres de l’économie et de la justice, la mission de l’Inspection générale des finances (IGF) consistait à mesurer le rôle de la présence du commissaire aux comptes dans les PME. Dans son rapport « La certification légale des comptes des petites entreprises françaises », cette mission a récemment conclu que la présence du commissaire aux comptes n’était pas justifiée !
L’IGF préconise le relèvement des seuils d’audit, conformément à la directive européenne : un bilan de plus de 4 M€, un CA HT supérieur à 8 M€ et un effectif de plus de 50 collaborateurs. Des seuils uniques quelle que soit la forme juridique de l’entreprise.
Le gouvernement doit annoncer prochainement ses décisions dans le cadre de la loi PACTE.
Un choc pour la profession qui conteste les conclusions du rapport de l’IGF. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes a publié un livre blanc avec ses propres propositions, et affirme : « les entreprises avec commissaires aux comptes présentent un taux de défaillance de 10,9% contre 18,40% sans commissaire aux comptes. Le taux de liquidation judiciaire est de 4,2% avec un commissaire aux comptes et 11,6% sans. »
Sur le terrain, les professionnels du groupement France Défi constatent au quotidien l’utilité du commissariat aux comptes. Témoignages.
« Notre atout : pouvoir intervenir en amont »
« L’atout du commissaire aux comptes c’est qu’il peut intervenir en amont et donc permettre aux dirigeants de redresser rapidement la situation en cas de problèmes.
Je suis commissaire aux comptes dans un groupe médical qui a eu des difficultés financières importantes. J’ai alors lancé une procédure d’alerte. Elle a été assez compliquée au début à expliquer aux dirigeants. Mais elle a permis d’obtenir, dans les six mois, une levée de fonds complémentaire auprès d’un fonds d’investissement. Cela a évité à ce groupe qui compte plusieurs milliers d’emplois de passer en procédure collective et de risquer le dépôt de bilan.
En agissant rapidement, l’entreprise a pu présenter une situation financière intéressante pour un tiers financeur. Cette rentrée d’argent a permis une restructuration. Alors que si nous avions attendu, nous aurions été à la casse. Ce même groupe a aujourd’hui des réalisations financières très conséquentes et performe très bien. »
Benoît Perin commissaire aux comptes du cabinet Axens
« Un rôle d’ange gardien »
« Le commissaire aux comptes est un élément essentiel de la sécurité financière. Nous sommes le seul lien entre les dirigeants, l’expert-comptable, l’avocat conseil, les actionnaires, les salariés, les clients, les fournisseurs. Contrairement à l’expert-comptable, nous ne travaillons pas dans l’urgence. Et cela nous permet de nous apercevoir de bévues importantes de la part des chefs d’entreprise.
J’interviens dans un groupe qui compte quatorze sociétés et dont la société phare fait 20 millions de chiffre d’affaires. Le jeune dirigeant, pour faire des économies, a supprimé l’assurance responsabilité civile, l’assurance multirisque. Il a également installé une centrale à béton sans permis de construire et autorisation administrative préfectorale. Autant d’actions qui auraient pu le mener directement en correctionnelle. En venant certifier les comptes je me suis aperçu de ses manquements. J’ai envoyé dix pages d’observation à l’avocat qui s’est occupé de renouveler les assurances des entreprises, obtenir les autorisations, rediscuter les contrats de crédit-bail. Ca a été une révolution pour l’organisation juridique, financière, comptable de l’entreprise. Sans commissaire aux comptes, toutes ces erreurs n’auraient pas été détectées, nous sommes un peu l’ange gardien de l’entreprise. »
Gerald Rouen commissaire aux comptes d’Audit et Finances
« Les procédures d’alerte ont un rôle social »
« Il y a trois ans, j’ai constaté la mauvaise application d’un dispositif comptable dans une entreprise et j’ai fait rectifié les comptes. En réalité, il avait des pertes plus importantes qu’il n’y paraissait. C’était une entreprise assez difficile à auditer, qui relève du secteur du bâtiment. J’ai déclenché une procédure d’alerte pour cette entreprise d’une centaine de salariés. Tout le top management a été très sensible, s’est impliqué dans la gestion et a pris des mesures. Ils ont investi plus de 100 000 euros dans un outil qui leur permet d’avoir une gestion plus fiable puisque je les avais sensibilisés sur cet aspect. Les procédures d’alerte sont très utiles mais pas uniquement pour la pérennité de la société, elles ont un rôle social. Une entreprise d’une centaine de salariés, c’est une centaine de familles…
Hier proche du dépôt de bilan, l’entreprise sort désormais un million d’euros de résultats nets en moyenne. Elle est pratiquement sortie du tunnel, c’est une belle aventure. »
Victor Louis Cano commissaire aux comptes de 3G Gadras et vice-président de la compagnie régionale de Bordeaux
« Sécuriser le patrimoine de l’entreprise »
« Trois des pays européens (Danemark, Italie et Suède) qui ont fait l’expérience des seuils européens sont aujourd’hui tentés de revoir ces seuils à la baisse. Quel que soit le niveau de chiffre d’affaires, nous apportons de la valeur ajoutée à nos clients, avec ou sans expert-comptable. Nous contribuons à la protection de leur patrimoine, à la réalisation d’économies, à l’approche de la gestion par les risques…
Par exemple, nous avons permis à certains de nos clients de récupérer tout ou partie de la CSPE, contribution créée sur les factures d’électricité. Ils ignoraient que cette CSPE peut faire l’objet d’un plafonnement au-delà de 0.5% de leur valeur ajoutée si certaines conditions sont réunies, voire d’exonérations dans certains secteurs (fonderie et exploitation de carrières notamment). Mais il faut aller vite pour ne pas perdre ses droits…. Pour l’un de nos clients dont le chiffre d’affaires est inférieur à 8 millions, l’économie représente une enveloppe de 80 000 euros par an.
Nous avons cette capacité à détecter les erreurs et nous apportons de la sécurité à l’entreprise. Autre illustration, nous sensibilisons nos clients au risque de détournement : plusieurs de nos clients ont pu éviter des escroqueries au président …Les exemples de ce type ne manquent pas.
La France va aujourd’hui dans le sens contraire de l’histoire et les perspectives d’économiser 5000 € par an avant incidence de l’économie d’impôt sont dérisoires par rapport à la valeur ajoutée que nous apportons. »
Gérald Albrieux commissaire aux comptes du cabinet Inkipio
« Détecter les fraudes dans les petites entreprises »
« Le commissaire aux comptes va au-delà du travail de l’expert-comptable et examine toute l’organisation du client.
Pour illustration, dans sa mission, le commissaire aux comptes doit utiliser la demande d’information auprès des fournisseurs, appelée circularisation. Cet outil permet de vérifier l’exhaustivité des informations et donc détecter les éventuels abus ou fraudes plus particulièrement dans les petites entreprises sans contrôle interne.
Ainsi, dans une entreprise de 4 M€ de chiffre d’affaires, qui avait beaucoup de flux, j’ai découvert que le comptable créait des factures grâce aux outils PDF… La circularisation a mis en évidence que le fournisseur envoyait deux à trois factures par mois, alors que nous en avions quatre ou cinq enregistrées. Rien n’était visible dans la comptabilité mais la moitié des factures n’étaient pas payées au fournisseur mais bien au comptable. En plus, le chef d’entreprise par confiance ou naïveté lui avait confié tous les codes bancaires !
J’ai pu informer le chef d’entreprise et également porter à la connaissance du procureur de la République le détournement de fonds et les fausses factures.
Sans commissaire aux comptes, cette fraude aurait eu peu de chance d’être détectée et l’entreprise aurait pu être mise en difficulté pour des problèmes de trésorerie. »
Joël Fraisse commissaire aux comptes du cabinet Sofidec Audit Dauphiné
« Un rôle d’éclaireur en toute indépendance et objectivité »
« Les objectifs assignés de cette réforme sont de libérer l’économie pour que les PME françaises deviennent des ETI. Or une PME ne devient pas une ETI en claquant des doigts cela nécessite de conquérir de nouveaux marchés, de se structurer…
Or, le commissaire aux comptes n’est pas présent que dans les moments difficiles. C’est un acteur clé des choix stratégiques de l’entreprise.
Que ce soit pour des décisions d’investissement, de croissance externe ou de gestion, le dirigeant de PME sollicite son commissaire aux comptes, il fait partie de l’équipe de professionnels capable de l’assister. Il vient en complément de l’expert comptable qui n’a pas forcément la dimension de l’accompagner sur des sujets de structuration.
Fort d’un large panel de clients, il a un regard spécifique et surtout il intervient en toute indépendance et objectivité. Ce n’est pas un béni-oui-oui.
Cette approche particulière du conseil est particulièrement importante pour les sociétés qui réalisent entre 5 et 8 millions de chiffre d’affaires, même si cela a été peu évoqué par la Profession.
Leurs dirigeants sont en effet assez seuls, ils ont besoin que nous les aidions à piloter leur activité. Ce sont eux qui vont être les premiers à pâtir de la réforme.
Pour eux, notre rôle d’éclaireur est fondamental. »
Philippe Guermeur, président de France Défi