Temps de travail, congés, licenciement économique, la loi El Khomri, devenue « loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » dont la version finale a été adoptée le jeudi 21 juillet comporte de nombreux changements pour les entreprises. Le texte a été validé en grande partie par le Conseil constitutionnel le 4 août.
Loi travail : l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche
Conformément à l’article 2 de la loi, qui avait cristallisé les critiques, un accord trouvé entre syndicats et employeurs au niveau de l’entreprise peut désormais être moins favorable au salarié que celui de la branche professionnelle, en ce qui concerne l’aménagement du temps de travail, la rémunération des heures supplémentaires et celle des temps de restauration et de pause. Principale conséquence pratique, la possibilité de négocier une majoration des heures supplémentaires inférieure au 25 % prévu par la loi, dans la limite d’un plancher de 10 %. Le décompte de ces heures pourra s’effectuer jusqu’à trois ans après, contre un actuellement, si un accord de branche le prévoit. En revanche, les accords d’entreprise ne peuvent être moins-disants que ceux de la branche sur les minima salariaux, les classifications professionnelles, les fonds de la formation professionnelle, les garanties collectives complémentaires, la pénibilité et l’égalité hommes-femmes.
La loi prévoit également que ces accords soient rendus publics, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent, avec toutefois des possibilités de restreindre cette publication pour les signataires.
De nouvelles conditions pour conclure un accord
Pour être valables, les accords d’entreprise doivent obtenir la signature de syndicats ayant détenant 50 % des voix aux élections professionnelles contre 30 % auparavant. Néanmoins si un accord décroche la signature de syndicats représentant 30 % des salariés, celui-ci peut organiser un référendum d’entreprise dont le résultat conduit à l’adoption de l’accord s’il lui est favorable à 50 %.
Dans les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégués syndicaux, un salarié peut être mandaté par un syndicat représentatif pour signer un accord.
Par ailleurs, ces délégués syndicaux voient leur crédit d’heures de délégations augmenter de 20 %.
Pour aider les PME et TPE, un service public territorial de l’accès au droit est créé. Les branches pourront en outre écrire pour elles des accords types.
La définition du licenciement économique précisé
Le texte de la loi définit précisément les conditions pouvant justifier le caractère économique d’un licenciement, auparavant largement laissé à l’appréciation du juge et donc source d’insécurité juridique pour les employeurs. Désormais, il faudra avoir connu un trimestre de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires dans les entreprises de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs pour celles de 11 à 49 salariés, trois pour les entreprise comptant un effectif de plus de 50 personnes, et 4 quand il dépasse les 300 personnes.
En matière de licenciement, l’imposition d’un barème contraignant plafonnant les indemnités de licenciement aux prud’hommes a finalement été abandonnée pour un simple barème indicatif.
Un peu de souplesse concernant la durée de travail et son organisation
Si la durée légale de travail reste de 35 heures par semaine, celle-ci pourra, exceptionnellement, par accord d’entreprise, être portée à 12 heures par jour (au lieu de 10 heures actuellement) ou à 46 heures par semaine (contre 44 aujourd’hui) sur douze semaines.
En matière d’astreinte, le salarié pourra être prévenu dans un « délai raisonnable » plutôt que 15 jours à l’avance, si un accord le prévoit.
Enfin, en matière de forfait jours, la loi détaille les aspects que doivent prévoir les accords d’entreprise les mettant en place et notamment une évaluation et un suivi régulier de la charge de travail.
Des accords de compétitivité pour développer l’emploi
Alors qu’il était jusqu’ici possible de négocier un accord d’entreprise modifiant le temps de travail et la rémunération en cas de difficultés, les entreprises peuvent maintenant négocier des accords « de préservation ou de développement de l’emploi », en l’absence de difficultés. Elles pourront ainsi revoir l’organisation du travail mais la rémunération mensuelle ne pourra pas être diminuée. Si après adoption de ce type d’accord, un salarié refuse d’appliquer les modifications qu’il suppose, il pourra être licencié.
Des congés supplémentaires pour les événements exceptionnels
La loi a étendu le nombre de jours de congé pour certains événements. Les salariés devront bénéficier au minimum de 5 jours pour le décès d’un enfant (contre deux auparavant), 4 jours pour un mariage, 3 pour une naissance, 3 pour le décès du conjoint et 2 jours pour l’annonce de la survenue d’un handicap chez un enfant.
De plus, il leur sera désormais possible de prendre des congés, dès leur embauche et non comme auparavant après une période définie par l’employeur.
Pour s’assurer du « respect du temps de repos et de congés », les salariés disposeront à partir du 1er janvier 2017, d’un « droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques ». Ses modalités seront définies dans un accord collectif, ou à défaut par l’employeur.
Des visites médicales moins systématiques
Les visites médicales préalables à l’embauche seront désormais réservées aux salariés affectés aux postes « à risques particuliers pour leur santé et leur sécurité », qui bénéficieront d’un suivi renforcé. Les autres participeront seulement à une réunion d’information.
Le Compte Personnel d’Activité instauré
Le texte prévoit de réunir les comptes formation et pénibilité des salariés au sein d’un compte personnel d’activité (CPA), introduit par la loi Rebsamen, et dans lequel les salariés pourront accumuler des droits tout au long de leur carrière. Il y ajoute un nouveau compte d’engagement citoyen. Ce CPA doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017.
Un renforcement de la lutte contre la fraude au travail détaché
La loi durcit également la lutte contre la fraude au travail détaché en renforçant les obligations des entreprises y ayant recours. Les donneurs d’ordre pourront être tenus responsables en cas d’infraction même s’ils s’abritent derrière des sous-traitants.
Des mesures sectorielles
La mesure prévoyant la création d’une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise d’au moins 300 salariés en France a été censurée partiellement par le Conseil constitutionnel. Son principe n’est pas remis en cause mais les Sages ont précisé que les dépenses de fonctionnement ne doivent pas être imputées aux seuls franchiseurs.
De leur côté, les plateformes numériques voient leur responsabilité sociale affirmée : leurs travailleurs doivent désormais bénéficier d’une assurance en matière d’accident du travail, d’un droit à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l’expérience et ont le droit de constituer un syndicat pour défendre leurs intérêts.
Un principe de neutralité
Suite à un amendement du Sénat, le texte introduit aussi la possibilité pour l’entreprise d’inscrire un « principe de neutralité » dans son règlement intérieur, sous certaines conditions. Il s’agit là, implicitement, d’encadrer l’expression de convictions religieuses.
Dans l’attente des décrets
Après promulgation de la loi, il faudra encore la publication de nombreux décrets pour que l’ensemble de ces mesures entrent en vigueur. Et pour les entreprises, d’autres changements sont sans doute à anticiper puisque la loi prévoit qu’une commission d’experts, associant les partenaires sociaux à ses travaux, propose d’ici à deux ans une réécriture d’ensemble du code du travail. D’ici le 31 décembre 2017, les branches professionnelles devront aussi engager une négociation pour déterminer les thèmes sur lesquels les accords d’entreprise ne pourront être moins favorables aux salariés que les accords de branche, dans les domaines où la loi ne le définit pas.